Voilà ce qui se passe, en Italie comme ailleurs, lorsque les intérêts financiers (et exclusivement économiques, au mépris de l’effet boomerang) priment sur les hommes, sur leur vie et leur sécurité... Après plus de cinquante ans de bons et loyaux services, le 14 août 2018 un tronçon du pont Morandi, s'est brutalement effondré, faisant 38 véhicules écrasés, 43 morts et 16 blessés (ajoutez si vous voulez 38 véhicules écrasés). Et dire que sa rénovation quasi complète avait bien était programmée... mais trop tard.
Il faudra encore attendre avant de connaître les conclusions précises des experts, même si l'on sait bien que le viaduc autoroutier de la capitale ligure, axe central pour les échanges marchands internationaux, n’était pas suffisamment entretenu depuis des décennies. D'importantes fissures ont dû être colmatées au fil du temps, qui a fini par avoir raison de ces réparations trop ponctuelles. Naturellement, Riccardo Morandi, l’ingénieur concepteur du pont, construit dans les années 1960, avait recommandé un entretien continu pour éliminer la rouille, due en particulier à l’effet corrosif de l’air marin dans cette ville portuaire méditerranéenne. Chiaramente, dopo qualche decennio non ci si può più accontentare di tanti piccoli interventi di soccorso… Altromenti, la situazione non può che precipitare, ad ogni altezza e livello... Anche quello più impressionante. Come voi che ci leggete, sicuramente, noi ricordiamo questo choc di Genova di due anni fa, al quale non potevamo proprio credere, come se fosse successo solo qualche mese fa… Où en est-on aujourd’hui ? A che punto siamo ?Come sapete, l’identificazione precisa delle responsabilità è ancora in corso. Une enquête pénale sur l’effondrement est en cours.
Le terme médiatisé de "boycott", pour l'inauguration du nouveau pont, étant peut-être un peu fort, retenons que les familles des victimes ont compréhensiblement souhaité rencontrer le Président Sergio Mattarella en privé (et se retrouver entre elles le jour de la commémoration). Elles ont pu néanmoins entendre le Presidente della Repubblica déclarer : « La responsabilité n’est pas générique. Elle a toujours un prénom et un nom de famille », et en appeler à « une action sévère, précise et rigoureuse » pour déterminer toutes les responsabilités1a/1b. Bien que la notion de responabilité, essentielle, serve la cause juridique, il ne faudrait pas qu’elle nous fasse oublier peu à peu tout le sens d’autres termes comme fautes ou manquements...
Toujours à propos de mots (jamais superflus, même s’il faut souvent, d'abord, réclamer des actes) ceux du Président du Conseil Conte ont aussi été attentifs et justes. Parole attente e appropriate, anche quelle di Giuseppe Conte. Per i nostri lettori francesi suonano così : "Demain, je serai à Gênes pour l'inauguration du nouveau pont : d'une blessure qui cicatrisera difficilement au symbole d'une nouvelle Italie qui se redresse. Une journée importante qui raconte le présent et le futur d'un pays qui change". L'Italia che (ri)costruiscenon è quella che distrugge…È sempre benericordarlo,anche se naturalmente, non dovremmo accontentarci di questo...
Même si il nous semble que la presse n'ait pas vraiment souligné cet aspect précis, le discours inaugural de Renzo Piano, célèbre architecte génois et international, était aussi respectueux des victimes (« Nous sommes suspendus entre le chagrin » de la tragédie et « fierté de la construction du nouveau pont ») que soucieux de s'arrêter sur la valeur du verbe construire et la symbolique d’union qu'offre depuis toujours l'idée de ponts entre les peuples, par opposition claire et nette à ce que signifie "bâtir" des murs entre (ou plutôt contre) eux.Il nostro internzionale Renzo Piano ha insistito, per tutti, sul senso dimenticato del verbo costruire. E sul significato ancor più profondo della costruzione di un ponte, mentre vi è che si applica a volere muri e barriere.
Voici donc, pour nous autres "grandes personnes" sensibles (aussi !) aux chiffres : de ses 1067 mètres de long, notre nouveau viaduc Gênes-Saint Georges (un des saints patrons de la ville) - connu durant sa construction sous le nome de "pont pour Gênes" - enjambe une partie de la ville sur plus de 1000 mètres, et comporte une travée avec 43 pylônes ou antennes lumineuses à la mémoire des victimes2. 2000 panneaux solaires absorbent les rayons du soleil et donnent au pont toute l’énergie dont il a besoin pour fonctionner, ce qui ne peut qu’être porté en exemple...
Blanche et profilée, cette nouvelle construction prend la forme de la carène d'un bateau, en écho à l’histoire maritime de Gênes. Si l'on peut s'exprimer ainsi, en de pareilles circonstances encore chargées de colère, d'indignation et d'amertume, une nouvelle solidité3 et une esthétique bien pensée peuvent un peu aider à "poursuivre (sur) notre (auto) route"…4.Per meglio ricominciare,Renzo Pianoha espresso il suo desiderio che questo ponte, pur figlio di una tragedia, sia...amato, osando già credere chelo sarà, perchéprobabilmente i bambini lo chiameranno « la nave », le bateau (per il suo aspetto) e perché vuol essere un ponte « semplice e forte ».Puis, avec une pointe de lyrisme (réaliste) plus que naturel, et sans doute plus qu’italien, Renzo Piano a cité le poète Giorgio Caproni qui parle de sa città de vie et de cœurcomme une ville "d’acier et d’air". En ajoutant : « Le pont sera le portrait de la ville. Il est fait d’acier mais flirte avec la brise. Il volera au dessus de la vallée ». Vous pouvez toujours l'écouter via la vidéo en bas de page (moins de 7 mn de prise de parole en langue italienne, sans lire, et avec cœur, comme remarqué par les internautes). De son côté, le maire de Gênes Marco Bucci (il sindaco), a déclaré: « Cela ne doit plus jamais se reproduire ». Phrase-évidence, que l’on devrait néanmoins toujours prononcer avec sincérité, émotion et conviction à l’issue de toute tragédie.
Bref, l’inauguration du nouveau pont Saint Georges, le 4 août 2020, était d’abord chargé de toute la douleur des proches de victimes (par delà leur absence physique), mais aussi d’une vive émotion partagée et d’un grand espoir. C’est sans doute pour cela que, après s’être invitée à une la cérémonie, à 19 heures la pluie a pu laisser place aux couleurs de l’arc-en-ciel...
Et, la nuit tombée, notre nouveau pont, en bon ouvrage monumental, en prenant le relais céleste des frecce tricolori, s'est aussi plus traditionnellement exprimé par ses couleurs nationales. L'humanité a toujours recours à ces symboles et de ces lumières. À nous l'effort de leur restituer sens et vérité pour qu'ils ne sonnent (ni ne brillent) jamais faux.
1a. « Le pont de remplacement n’annule pas ce qui s’est passé à Gênes », a déclaré aussi le Président Mattarella. « Au contraire, je le vois, en bonne partie, comme une sorte de pierre commémorative qui rappelle les victimes », a-t-il déclaré. Le président a ajouté qu’il partageait la quête de justice des familles. Et ces affirmations sincères et institutionnelles au plus haut degré ne sont pas accessoires en ce monde hélas accoutumé à la mort et à l’idée de fatalité (en "l’absence" de coubables…)
1b. Cet été, le gouvernement italien a conclu un accord dans lequel la famille de la mode Benetton a "accepté" de quitter Autostrade per l’Italia (Aspi), l’entreprise qui gère et entretient de nombreuses autoroutes et ponts italiens (dont le pont Morandi). Mais cette sortie prendra un certain temps (estimé à un an), car, dans le cadre de cet accord, Aspi (re)devient une entreprise publique... Tra un annetto c’è chi uscirà dall’azienda autostrade… che verrà (ri)nazionalizzatadopo la privatizzazione attuata nel 2003 dall’allora governo Berlusconi (dirittiglobali.it). Mais, bien sûr, ces privatisations des services publics, et leurs conséquences, ne connaissent pas de frontières.
2.En réponse à ceux qui pensent que la cérémonie aurait pu être plus sobre… on pourrait répondre que ce chantier, abouti dans les temps en pleine pandémie (dans les règles de l'art et de la sécurité) a offert une raison de plus pour en être plus que satisfaits, dans une juste mesure. Par ailleurs, ci-après, voici l’un des nombreux commentaires de francetvinfo.fr sur le sujet (avec une petite veine polémique. Justifiée ?):
« Ce pont n'oublie pas les victimes : il est doté que 43 pylônes lumineux qui leur rendent hommage. (…)
De plus, l'architecte de ce nouveau pont n'est autre que Renzo Piano, celui qui a conçu notre centre G.Pompidou, mais aussi de nombreux très grands ouvrages à travers le monde. Cette construction est une performance technique, et je pense que si cela était arrivé en Allemagne, vous auriez applaudi des deux mains cette prouesse technique. Mais voilà, c'est en Italie, on connaît vos préjugés sur les pays du Sud…»
Un autre commentaire suit… : « On verra combien de temps prendra la reconstruction du pont écroulé entre Mirepoix-sur-Tarn et Bessières... [au nord de Toulouse] ». Article de "Libération" (novembre 2019).
3. Fin juillet, 56 camions d’un poids de 44 tonnes chacun, pour un total d’environ 2500 tonnes, ont testé la solidité du pont.
4. Mais, par delà la structure (ponts), quelles autoroutes sont vraiment sûres aujourd’hui, avec nos modes de conduite, les dépassements audacieux pour raisons économiques et parfois la suppression banalisée des bandes d’arrêt d’urgence ? Le transport sur rails de nos marchandises avait le "léger avantage" d’être plus sûr, pour une circulation bien plus humaine (et beaucoup moins polluante). Non è vero ?
Renzo Piano(lien-fiche de présentation) a parlé de deuil et douleur,
et d'un magnifique chantier plein d'énergies et de compétences, qui a su effacer toute différence