En ces temps de "prudent déconfinement" [page écrite début mai 2020] pour tenter de mieux vivre - autant que possible - certains aspects atemporels de notre crise sanitaire, nous vous proposons cette présentation d'Alessandro Manzoni et de son chef d’œuvre universel (ou capolavoro), "Les Fiancés" (I promessi Sposi).
Alessandro Manzoni, né en 1785 à Milan, où il meurt en 1873, est le petit-fils de Cesare Beccaria. Ce dernier, philosophe de l’illuminismo ou siècle des Lumières italiennes, auteur en 1765 de Des délits et des peines, avait été loué par Voltaire pour son admirable combat contre torture et peine de mort. Fervent défenseur de l’unité linguistique et politique, nommé sénateur - à l’instar de Giuseppe Verdi - Manzoni est un homme de lettres complet, qui conjugue la sensibilité du romancier à l’œil de l’historien, sublimant ainsi le "roman historique". Genre où, avec « Les promis (mariés) » - selon traduction littérale - la fiction épouse, avec délicatesse et souci de vérité, le message de l’Histoire. Une Histoire s’exprimant dans les faits comme dans les postures des personnages, tout d’une pièce ou, le plus souvent, tout en nuances. Les descriptions de Manzoni, psychologiques ou de paysage (voir le célèbre incipit), aussi soignées que poétiques, donnent du souffle à une narration "naturaliste" objective et – peu avant un autre romancier de taille, le sicilien Giovanni Verga – empathique à souhait vis-à-vis des poveri et disperati (dans la lignée des vinti ou "vaincus" véristes).
L’introduction Wikisource à "Alexandre Manzoni" assure : « Manzoni a exercé une grande influence sur l’opinion de ses contemporains ; dans ses poésies, ses livres, dans son immortel roman, il combattit sans pitié les erreurs, les sophismes, les préjugés sociaux (…). Il y a des livres qui n’appartiennent pas à une seule nation, mais au monde entier. La beauté littéraire est universelle, et tous ont le droit et le devoir de s’en emparer. (…) Ses écrits ont acquis l’admiration universelle, et Les Fiancés, œuvre impérissable d’une âme profondément chrétienne, resteront comme un des plus beaux ouvrages dont l’Italie puisse s’enorgueillir ».
Dans Les Fiancés (première édition : 1827, dernière édition : 1842), le "rideau" s’ouvre en 1626, lorsque le mariage entre les pauvres paysans Renzo et Lucia est interdit et empêché de force par le seigneur local Don Rodrigue, qui convoite Lucia du haut de son pouvoir et de son arrogance (la Lombardie du XVIIe siècle, dominée par les Espagnols, fait écho au royaume lombard-vénitien des Autrichiens du temps de l’écriture...). Le cheminement amoureux et humain des protagonistes connaît mille difficultés et, au delà de la sphère sentimentale, il est question de bien d’autres abus, injustices et indignations dans ces pages toujours actuelles où l’institution ecclésiastique occupe une large place avec justesse, variété (de profils et sentiments) et vérité.
Chap. I : les "bravi" face au curé Don Abbondio - Eh bien, lui dit le bravo (…) d’un ton solennel de commandement, ce mariage ne doit point se faire, ni demain ni jamais.
Comme pour moult œuvres maîtresses, un certain lien - et parfois un lien certain ! - avec la mentalité de notre époque ressort des thèmes, situations et caractères… Mais les analogies avec notre triste actualité apparaissent en particulier dans la tragédie finale de la peste, évocation historique d’une épidémie ayant réellement frappé la ville de Milan en 1630, suite au passage des lansquenets, mercenaires sans scrupules de l’empire germanique. La peste, déjà connue comme peste noire au XIVème siècle et contée par Boccace dans son Décaméron… ; la peste qui, en cette pré-Renaissance, avait emporté Laura, muse de Pétrarque… Une épidémie qui, au delà des évidentes divergences naturelles et contextuelles, n’est pas sans résonance avec la nôtre : une véritable pandémie déchaînée cette fois par un redoutable virus… à couper le souffle, littéralement et sûrement. Et qui suscite un peu les mêmes angoisses. Châtiment ? Réponse d’une nature offensée ? Complot ? De nos jours, c’est le silence de nos villes et maisons qui, alterné au cri des médias, donne à réfléchir. Et… aujourd’hui comme alors, la contagion ne fait aucune distinction. Sur ce, revenons à la peste du chef-d’œuvre de Manzoni pour retrouver l’intouchable ennemi de toujours, Don Rodrigue, lui-même presque supris de n’être nullement épargné. Le crudele Don Rodrigo, tyranneau libertin et insouciant que ses propres acolytes soumis et loyaux, les bravi, n’hésitent pas, au premier symptôme et signe de faiblesse... à abandonner à son triste sort.
Bref, prepotenza (arrogance), hypocrisie, souffrance, espoir, morale (si présente dans la douceur et la bonté de Lucia)… tout est réuni dans Les Fiancés, dont on retiendra particulièrement l’admirable adaptation RAI de 1967, en huit épisodes, par Sandro Bolchi. À l’instar de ce qui advient pour Les Misérables de Victor Hugo, dans Les Fiancés finesse et sensibilité rejoignent une profondeur pédagogique atemporelle. Osons le réaffirmer à notre époque, caractérisée par notions et compétences d’un autre ordre (savoirs-faire techniques pertinents et bienvenus dans leur complémentarité, et moins dans leur "domination").
En d'autres termes, en cette période de stand-by, "prenons soin de nous" ! Dans toute la mesure du possible, revenons aussi humblement que patiemment à certains grands classiques, surtout après avoir apprécié l’une de leurs réadaptations sur petit écran (comme Les Misérables de Robert Hossein avec Lino Ventura, proposé le 4 mai dernier par France 2). Redécouvrons-les même partiellement, pour en apprécier la valeur en résonance avec nos sensibilités. Petit à petit, même (et surtout ?) les sujets les plus ardus aident à apprivoiser peurs et doutes, tout en permettant de garder le sens des réalités. Lire pour réaliser - sans s’abandonner à la résignation – que le genre humain n’a pas vraiment changé. Et, après les infos, lire encore des pages pleines d’espoir, cette fois. Y croire, parce que c’est encore de la littérature, ou un témoignage sincère, ou même une belle fable à laquelle il est encore permis de croire un peu…
Puis s’endormir en se demandant quelles dispositions, diamétralement opposées, seront adoptées pour ou contre notre humanité après cette crise-choc. Une pandémie qui semble à la tête des autres "pandé...sastres" qui, dans les coulisses, attendent aussi, patiemment, le début d’une vraie prise en charge.
Manzoni et la peste - bon à savoir :
Après sa description de la peste de Milan dans Les Fiancés, en 1832 Manzoni analyse, dans L’Histoire de la colonne infâme, les actes du procès qui ont conduit les autorités à condamner deux innocents soupçonnés d’avoir propagé la peste en ville, et démonte le mécanisme des responsabilités individuelles et collectives de cette injustice.
• Incipit : « Ce bras du lac de Como qui pointe vers le midi entre deux chaînes non interrompues de montagnes... » https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fianc%C3%A9s_(Manzoni_1840)/Texte_entier
Musicalité version originale : « Quel ramo del lago di Como, che volge a mezzogiorno, tra due catene non interrotte di monti... ».
• 29.02.2020 – RAI3 : L’acteur Alessio Boni, né à Sarnico, dans la province de Bergame - ville particulièrement touchée aujourd’hui -, lit le début du chapitre 31 autour de la peste (lien qui suit : traduction française de l’intégralité du chapitre, puis sélection d’extraits) :
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À LA RENCONTRE… DU TEXTE
Chapitre 31 : l’état d’esprit de ceux qui ont largement sous-estimé, sans l’admettre, la menace d’une "crise sanitaire"
« Comme cependant, à chaque découverte qu’il parvenait à faire, le tribunal ordonnait de brûler les effets, comme il mettait des maisons en quarantaine et envoyait des familles entières au lazaret, il est facile de juger combien il appelait sur lui le mécontentement et les murmures du public, de la noblesse, des marchands et du peuple (...) dans la persuasion où ils étaient tous que c’étaient des vexations sans motif et sans nul avantage. On en voulait surtout aux deux médecins Taddino et Senatore Settala, qui bientôt ne purent plus traverser les places publiques sans être poursuivis d’injures, lorsque ce n’étaient pas des pierres qu’on leur lançait, et ce fut sans doute une position digne d’être remarquée que celle où se trouvèrent pendant quelques mois ces deux hommes, voyant venir un horrible fléau, travaillant de tous leurs moyens à le détourner, mais ne rencontrant qu’obstacles là où ils cherchaient du secours, ne recueillant pour récompense que des clameurs hostiles, que d’être signalés comme ennemis de la patrie (…).
Cette haine s’étendait aux autres médecins qui, convaincus comme les deux premiers, de la réalité de la contagion, conseillaient des précautions, et cherchaient à faire partager à leurs concitoyens cette douloureuse conviction dans laquelle ils étaient eux-mêmes. Les plus modérés parmi leurs censeurs les taxaient de crédulité et d’obstination (…). Mais, vers la fin de mars, les maladies suivies de décès se déclarèrent en grand nombre, d’abord dans le faubourg de Porte-Orientale, ensuite dans tous les quartiers de la ville ; et, chez toutes les personnes ainsi atteintes, on remarquait d’étranges accidents de spasmes, de palpitations, de léthargie, de délire, ainsi que les sinistres symptômes de taches livides sur la peau et de bubons. La mort était ordinairement prompte, violente, souvent même subite, sans aucun signe de maladie qui l’eût précédée. Les médecins opposés à l’opinion de l’existence de la contagion, ne voulant pas avouer maintenant ce dont ils s’étaient ri naguère, et se voyant pourtant obligés de donner un nom générique à ce nouveau mal, désormais trop répandu, au vu et su de tout le monde, pour pouvoir se passer d’un nom, imaginèrent de lui appliquer celui de fièvres malignes, de fièvres pestilentielles ; misérable transaction, ou plutôt jeu de mots dérisoire, et qui n’en produisait pas moins un effet très-fâcheux, parce qu’on paraissait reconnaître la vérité, on parvenait ainsi à détourner la croyance du public de ce qu’il lui importait le plus de croire, de voir, c’est-à-dire de ce point de fait que le mal se communiquait par le contact ».
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Lecture, littérature (et films !) prennent soin de vous...
Lettura, letteratura (e film!) di te prendon cura...
L'ITALIE PAR SES ECRIVAINS - Fabio Gambaro
REGARDS D'AUTEUR SUR LA PÉNINSULE
Qu'il fait bon lire et découvrir, mais aussi reprendre en main un ouvrage lu d'un seul trait il y a quelques années, et toujours aussi actuel et prenant !
Essayiste et correspondant culturel italien, journaliste pour Le Monde, Le magazine littéraire et Livres Hebdo, mais aussi Directeur de l'Institut Culturel Italien de Paris jusqu'à aujourd'hui (voir son arrivedercià l'IIC Paris sur Altritaliani.net), Fabio Gambaro est allé à la rencontre de sept auteurs contemporains. Écrivains qui, dans un monde de plus en plus complexe et ardu - Italo Calvino insistait sur ce point - savent ce qu'ils écrivent et ce qu'ils pensent (ce qui ne les empêche pas de douter aussi, bien sûr...).
Il s'agit du regretté et international Umberto Eco, du sicilien Vincenzo Consolo, de Claudio Magris, de Rosetta Loy, d'Andrea Camilleri que beaucoup d'entre vous connaissent pour son commissaire Montalbano, (intellectuel disparu le 17 juillet 2019), d'Alessandro Baricco et de Bruno Arpaia.
Comme indiqué par Le Nouveau Magazine Littéraire, "L'Italie par ses écrivains", paru en 2002, est un recueil d'entretiens, ainsi qu'un essai, qui reste « un élément de compréhension de l'évolution culturelle et politique de l'Italie ».
On ne peut que vous inviter chers amis, à vous procurer ce "petit" ouvrage-panorama aux Éditions Liana Levi... Et, dans tous les cas, on aimerait vous faire part de quelques éléments parmi ceux que nous avions promptement soulignés... Des propos toujours pertinents, donc, pour mieux comprendre certains "enjeux" liés à l'histoire et à la société italienne. Même si Culture & Santé préfère utiliser des termes ou expressions moins à la mode ou moins galvaudés... Disons donc que Fabio Gambaro a su mettre en valeur ou mettere in risalto les aspects majeurs, gli aspetti cruciali, caractérisant les grandes évolutions et dispositions liées à la Péninsule ; évolutions dépassant la conjoncture politique. Et, ce, alors que la fameuse question berlusconienne - aujourd'hui nettement dépassée, dans ses contours tout au moins - a été légitimement et assez amplement abordée par tous nos écrivains. Des auteurs porte-parole de la società civile. Une société populaire élargie (peuple ouvert à la culture et au débat + intellectuels proches des couches oubliées + citoyens éclairés...) qui, à travers le dynamisme de moult associations et pas seulement, a toujours su proposer aux jeunes générations transalpines de solides alternatives culturelles et sociales.
Que retenir de ces pages et échanges par exemple ? Interrogé sur l'antagonisme culturel Nord-Sud, le théoricien éclectique Umberto Eco affirmait qu' « il a toujours existé, mais jamais d'une manière conflictuelle. La tradition du roman méridional n'est pas la même que celle du roman piémontais ou lombard. Entre Pavese et Rea, il y a un abîme. Cependant, ces différences culturelles sont en réalité des « traditions coexistantes et coïncidentes ». Pour preuve, « Calvino au Nord, Moravia au Centre et Sciascia au Sud font partie tous les trois de la culture italienne. Ce n'est pas un hasard si un homme du Sud comme Vittorini a pu s'installer au Nord et contribuer activement à la création de la culture lombarde ».
Riassumendo il tutto, con "L'Italie par ses écrivains", siamo di fronte a un resoconto socio-letterario agile e di grande interesse. Un botta e risposta pacato e pensato in cui, grazie alle accurate domande di Fabio Gambaro, sette scrittori italiani di oggi aiutano i francesi a capire l'Italia. Anche se, visto che in realtà un paese non finisce mai di conoscere se stesso, queste pagine potrebbero giovare molto agli stessi italiani. In primis a coloro che, si capisce, vorrebbero anche capire come "la Péninsule" è presentata ai cugini francesi. Sincerità e franchezza (oltre che chiarezza) caratterizzano queste rilassate interviste. Un dernier passage, voulez-vous ?
Vediamo un po'... le romancier Claudio Magris enseigne la littérature allemande à l'Université de Trieste. À la question : entre cultures allemande et française, quelle est la place de la culture italienne ? il répond : « Je suis ouvert aux autres cultures, mais je me sens entièrement italien. La culture italienne pour moi est avant tout la langue: quand je pense et je regarde le monde, je le fais toujours en italien. Et derrière la langue, évidemment, il y a toute une culture, une littérature, une évidence sentimentale et une syntaxe existentielle. Ainsi, parmi les auteurs les plus importants pour moi, je dois au moins mentionner Dante, Le Tasse, Leopardi, Nievo ou Svevo. J'appartiens à cette tradition culturelle ».
Nous ne pouvons que comprendre une telle réponse... tout en nous disant que, d'un autre côté, on ne pourrait vraiment pas se passer non plus d'un Victor Hugo, d'un Lamartine, d'un Stendhal (lui-même si amoureux de l'Italie). Et c'est ainsi pour tous ceux qui sont - et même se sentent - aussi italiens que français... en vertu d'une véritable fusion "francitalienne"... Quant à l'idée que c'est d'abord une langue qui véhicule une culture, sì, è vero, più di quanto possa sembrare. Effectivement, on oublie parfois qu'une langue est le premier reflet d'un Pays. Un chemin d'accès pouvant être riche en expressions idiomatiques et en accents graves ; accents doux ou mélodieux, fascinants pour leur singularité, et qui motivent pour découvrir tutto il resto. C'est à dire contenus, pensées, moyens d'agir, culture et caractères particuliers, dans leurs liens avec notre culture universelle. Voilà pourquoi il apparaît dommage - même dans un contexte "eclusivement" utilitaire (quelque peu artificiel...) - de considérer une langue uniquement en elle-même, dans un but exclusif de communication... qui en oublie même parfois, disons-le, toute correction essentielle de la langue.
Reparcourir quelques pages de L'Italie par ses écrivains nous aura donc permis de toucher quelques points essentiels, chers lecteurs. Avec cet ouvrage conçu en langue française, pensées et regards d'auteur deviennent d'excellents moyens d'accéder à une connaissance riche et judicieusement critique. Confrontation d'autant plus intéressante qu'il s'agit de mieux comprendre un pays voisin et proche, il Belpaese, dans toute sa singularité ; pour tenter de saisir certaines dynamiques communes à notre présent, et mieux regarder notre avenir.
CONTAGIONS - Paolo Giordano
"NEL CONTAGIO" :
PAGINE PER PROVARE A CAPIRE...
Paolo Giordano, né en 1982 à Turin, est un écrivain italien contemporain, Docteur en physique. À 26 ans, il est lauréat 2008 des prix Strega et Campiello pour son premier roman, La solitude des nombres premiers (La solitudine dei numeri primi). Son essai « Contagions » sur notre crise sanitaire globale, croise les mathématiques, l'écologie et l'information.
Plus précisément, Nel contagio (titre original) a été écrit dans le feu de l’urgence, alors que l’expérience du confinement démarrait en Italie, avant de toucher la France...
Ce témoignage est un éclairage fort et stimulant sur la pandémie, sur ses possibles sources, ses implications et les changements qu’elle opérera sur notre vie et notre pratique du monde, dans l’immédiat et à long terme. Una testimonianza per così dire "matematico-letteraria", che in Italia non è certo passata inosservata, e che vogliamo far conoscere meglio ai francesi, che a marzo scorso hanno osservato la situazione dello stivale anzitutto con stupore e sgomento, essendo stata l'Italia il primo paese colpito - e terribilmente colpito - dalla pandemia.
Dans ce livre de constats et analyses, y compris sur les facteurs directs et indirects d'un pandémie qui dure et perdure, Paolo Giordano admet n'avoir jamais pris très au sérieux les critiques adressées depuis longtemps, par un nombre croissant de citoyens, à notre contexte de globalisation mal réglée, offrant néanmoins des possibilités de voyage, d'échanges et de confort... Mais il est conscient de longue date, et avec précision, des responsabilités humaines dans le domaine écologique, et des fautes qu'il faudra absolument éviter de commettre à nouveau vis-à-vis de tous les autres habitants de la planète (comportements à effet boomerang...).
À un autre niveau, dès les premières lignes Giordano joue avec sérieux de sa passion pour les mathématiques, afin de décrire avec précision caractéristiques et vitesse de propagation d'un virus inédit, et d'éclairer sur les mécanismes pandémiques à connaître. Il met en avant les bienfaits certains des restrictions de sorties, insistant volontiers sur l'idée d'humanité dans son ensemble que nous impose le confinement.
Des pages très réalistes donc, parfois tristement poétiques, soulignant les causes du Covid-19 liées à la surexploitation humaine de la faune et de la flore. Tout en n'écartant pas le risque d'épidémies nouvelles (et même plus virulentes !) dans le futur, en l'absence de vaccin l'auteur nous exhorte à être très patients... et à faire de notre présent un temps de réflexion pour un avenir beaucoup plus respectueux et mesuré.
Nos extraits :
« Dans le genre de circonstances que nous traversons, on observe toutes sortes de réactions : rage, panique, froideur, cynisme, incrédulité, résignation. Il suffirait de s'en souvenir pour ne pas oublier de faire preuve d'un peu plus de prudence que d'habitude, d'un peu plus de compassion.
Si nous voulons vraiment désigner un coupable, c'est nous. (...) Les agents pathogènes, il y a encore quelque temps, se tenaient bien tranquilles dans leurs niches naturelles. La déforestation, ainsi qu'un urbanisme irrépressible, nous rapprochent d'habitats qui ne prévoyaient pas notre présence.
L'extinction accélérée de multiples espèces animales oblige les bactéries qui vivaient dans leurs intestins à s'installer ailleurs. Les élevages intensifs créent des cultures involontaires où tout, littéralement, prolifère. Quant aux incendies démesurés de l'été dernier en Amazonie... qu'ont-ils libéré ?
Et encore, qui est en mesure de prévoir ce que provoquera l'hécatombe plus récente d'animaux en Australie ?
La contagion est une invitation à réfléchir. La quarantaine en offre l'occasion. Réfléchir a quoi ? Au fait que nous n'appartenons pas seulement à la communauté humaine. Nous sommes l'espèce la plus envahissante d’un fragile et superbe écosystème.
Il faut nous efforcer d'attribuer un sens à la contagion. Il faut faire un meilleur usage de ce laps de temps, nous en servir pour méditer :comment nous en sommes arrivés là, comment nous aimerions reprendre le cours de notre vie ».
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Avant parution papier, les éditions du Seuil ont mis à disposition, sur leur site, le texte intégral de "Contagions", pour son intérêt public, au moment même de la première phase d'urgence. Car les mots, dans ce cas bien après les soins médicaux, bien sûr (!), peuvent être d'un grand secours ; et, en pleine "crise" (tragédie), Giordano a fait preuve par ces pages d'une prise de recul appréciable et utile (avec un regard sur l'avenir). Même si l'émotion pour ses concitoyens frappés (lisible et visible) reste le moteur de ces pages.
En langue originale, nous vous proposons cet article et vidéo-interview de Giordano, du 29 mars 2020 par le quotidien "Il corriere della sera". Entretiensuivi ci-après de son partiel compte-rendu en français.
Réponse initiale de Giordano : « Puisque ce virus est particulièrement rapide, la seule manière de lui résister est de lui opposer notre soudaine lenteur. On aura besoin non seulement de ralentir énormément, mais aussi d’être très très prudents et vigilants car (pic à part, qui en réalité s’exprimera de manière beaucoup plus progressive par rapport aux attentes), cette épidémie pourrait ressurgir à tout endroit, et à tout moment (!), du moins tant que nous n’aurons pas abouti à un vaccin ».
L'auteur est interrogé également sur le problème de la solitude (thème que Paolo Giordano avait exploré dans son premier roman), parfois très dure à supporter. Giordano répond que la solitude de notre époque s’enracine dans l’individualisme. Mais en réalité, si on reste à la maison en ce moment, c’est moins pour des raisons égoïstes que pour alléger la pression sur le système sanitaire. Et cela nous met pour une fois au service de la collectivité… Autre raison derrière notre confinement : protéger les personnes les plus vulnérables. Mais sans discrimination aucune (ceci est un autre point méritant approfondissement...). Et encore : « au fond, nous restons à la maison aussi pour les pays lointains, comme l’Afrique par exemple, qui manque de structures adaptées. Bref, on voit qu’il s’agit d’un sursaut de solidarité extraordinaire, dont nous nous rappellerons quand cette triste situation sera derrière nous ».
La journaliste du "Corriere della sera" évoque l’écologie et le problème des responsabilités. Dans quelle mesure tout ceci est bien la faute de l’homme ? Giordano répond qu’il n’est pas le seul à penser aux liens de cause à effet au sein de notre environnement. On sait par exemple que l’OMS, avec d’autres institutions, approfondit l’hypothèse du lien entre réchauffement climatique et développement croissant de certaines maladies comme la malaria. D’autre part, nous savons que les épidémies ont toujours existé et se sont toujours répandues de manière naturelle. Un point commun alors, pour tenter de comprendre : presque toutes ces maladies sont le fruit d’échanges entre des micro-organismes : entre des espèces animales (sauvages en général, chauve-souris en tête) et l’homme. Giordano cite enfin l’historien Yuval Arari, qui encourage à protéger la frontière entre l’homme et la nature. Pour le rappeler peut-être un peu naïvement mais clairement, le lien homme-nature demeure indispensable dans nos sociétés "civilisées", mais pour qu'il puisse être un minimum maintenu et entretenu (et sans conséquences négatives), il faudra d'abord, en effet, le réinventer avec respect. Respect de tout être vivant et de son habitat (après les énormes dégâts que l'on sait, entre marées noires et déforestations ; catastrophes auxquelles s'ajoutent toutes nos responsabilités et promesses non maintenues quant au réchauffement climatique...). Paolo Giordano évoque aussi ces maux de notre temps, naturellement. Car, à court terme désormais, l'humanité devra affronter plusieurs batailles sur plusieurs fronts, pour que notre planète et notre humanité respirent... Tante battaglie in vista, amici, lo sappiamo. Da affrontare con riflessione, decisione e combattività, ma senza egoismi né violenze, di ogni tipo. Piuttosto, crediamo, con spirito di pace, solidarietà, intelligenza, ed una buona dose di speranza per "il mondo che verrà"...
VIVRE ! DANS UN MONDE IMPREVISIBLE - Frédéric Lenoir
SAVOIR (SUR)VIVRE AUJOURD'HUI...
Avec le psychiatre Christophe André, également cité dans cet ouvrage, le “nouveau philosophe” Frédéric Lenoir fait partie des sages médiatisés de nos temps funestes. Ou plutôt des temps que l'auteur définit, Covid-19 (et tout le reste) oblige, imprévisibles, selon le titre du livre en question, aux éditions Fayard : "Vivre ! Dans un monde imprévisible".L'adjectif "imprévisible" renvoie un peu à la fatalité. En tout cas - c’est bien le message de notre écrivain et sociologue - l’important est de dépasser notre dernier, triste fléau sanitaire et ses causes. De quelle manière ? En pensant à "Vivre !" (bon sang !). En faisant appel à notre pulsion de vie tout d’abord et tout simplement… Même si dans les faits, naturellement, notre nouvel ennemi invisible n’en a que faire. Autrement dit, que peuvent nos pulsions de vie et nos volontés face à la virulence d'un tel virus ?
Mais soyons "autrement sérieux", chers amis qui, comme nous, ne dédaignez pas être un peu consolés par ces bons livres (philosophiques, littéraires ou autres) qui viennent secourir à leur façon nos peurs ou angoisses.
Premièrement : par delà tout impératif commercial, quoi de plus normal qu’un titre d’ouvrage grossisse un peu le trait pour mieux faire saisir le message. Car après tout, pour une fois, ce n’est pas le mot “bonheur” qui est employé et promis, sous le signe d’une insouciance volontiers démesurée et artificielle, et faisant le (vrai) bonheur uniquement de ceux qui ne jurent que par et pour le “pays des (grands) jouets” ehm, “des merveilles”, pardon : le pays de la surconsommation (nos fables classiques ont encore beaucoup à nous apprendre...).
Deuxièmement : sur terre, rien de plus précieux que la vie, même si cela peut paraître une banalité… Vous avez bien lu, certains voient cela comme une "banalité", au sens le plus neutre du terme. Cela est peut-etre vrai à première vue dans les mots, là où en réalité il s’agit d’abord du premier des principes pour une humanité digne de ce nom. D'autre part, l’actualité montre qu’hélas, pour nombre d’entre nous la plus belle des "banalités" ou le meilleur des principes n’est pas du tout une évidence, ou un bien à protégér et à respecter sine qua non. Faute peut-être d’avoir su – et d’avoir pu, vu le contexte – éduquer à souhait contre la violence, il ne reste plus (par les moyens du cœur), qu’à éduquer à la paix et à la vie sous toutes ses formes (par temps de Covid et au delà). Existences qui, comme les vies humaines, ont tout à nous offrir selon les lois de la nature et dont la beauté est aussi dans leur fragilité, si intouchable et précieuse. Quant aux espèces sauvages en particulier, cette pandémie nous a rappelé toute l'importance de respecter, en amont, "distanciation" et habitats naturels... Ce n'est pas un hasard, d'ailleurs, si Frédéric Lenoir souligne, bien avant la bataille sanitaire actuelle, sa militance pour la protection (in extremis) de l'environnement (alertes sur les conséquences du réchauffement climatique incluses...).
Troisièmement : l’exhortation à vivre (malgré tout) - titre, suggestions et conseils compris - est donc foncièrement louable même si, derrière ce "monde imprévisible" qui freine nos meilleures intentions de vivre pour exister (ou juste de survivre en milieu hostile...), se cachent assez aisément des conceptions différentes (parfois plus objectives ?) de ce qui dépend de nous et de ce qui dépend de causes extérieures.
Ainsi, dans ces pages le mal nous empêchant de vivre est bien notre nouveau mal sanitaire. Malheur à relativiser autant que possible selon Frédéric Lenoir (au regard d’autres épidémies comme la grippe de Hong Kong), mais dont il faut certes bien se protéger lorsque cela dépend de chacun d'entre nous… Mais en évitant de tomber dans l’idéologie du "tout sanitaire", qui pourrait faire oublier d'autres domaines, sous peine de priver la société de ses liens et de sa lymphe vitale. Une analyse en grande partie juste, il nous semble. Une réflexion qui, d'autre part, rappelle inévitablement ces polémiques qui secouent encore la France, malgré la nécessité d’attitudes solidaires et cohérentes, sans détournements (sommes-nous sûrs de notre nouvel usage de l’expression "désobéissance civile" ?) ni provocations inutiles.
Globalement, la lecture de ce dernier Lenoir (comme celle d’autres ouvrages du philosophe) fait du bien. C’est un réconfort réfléchi, qui nous rappelle toute l’importance de se cultiver notre vie intérieure, en faisant "revivre" en notre esprit les leçons des Anciens. Ceci dit et écrit, le "danger" est peut-être celui de basculer vers une philosophie sans nuances de la supportation, où nos inéluctables misères existentielles (maladie, vieillesse, mort) seraient placées sur le même plan que nos malheurs semi-existentiels (autres maladies, voire épidémies où des responsabilités humaines existent) et que nos catastrophes sociales désormais communément admises (Frédéric Lenoir ajoute aux exemples de "surmontable détresse" les pertes d’emploi, souvent liés au chômage de masse et à ses dynamiques).
Enfin, nous ne pouvons qu’apprécier et souligner l’expérience de terrain de l’auteur, indigné par de criantes injustices parfois dues à de sombres croyances. Injustices pour lesquels il est prêt à (ré)agir sans hésitation. De même, nous ne pouvons que partager son incitation à redonner toute sa place au moment présent (et pas “uniquement” via des exercices de méditation de pleine conscience), dans une époque accélérée et confuse, centrée sur une surabondance diffuse. Ajoutons que notre adhésion à ce message est encore plus nette lorsque notre passé et notre futur, moteurs tout aussi essentiels à l’humanité, sont également mis en avant (comme c'est le cas dans les extraits présentés ci-dessous). Pas de présent viable, à notre sens, sans prise de conscience de l'enchaînement des événements et surtout des personnalités qui nous ont précédés ; pas de présent qui motive et rassemble sans une vision plus ou moins claire de l’avenir, et surtout des risques à éviter.
Fréderic Lenoir nous offre donc sa réflexion pour le présent. À nous de la restituer au sein d’une trajectoire humaine plus large, aujourd’hui cruciale, mais qui – même et surtout en ces jours difficiles – mobilise et pourrait rassembler, avec davantage de dialogue et de sérénité, autour des notions de vie, de santé, de solidarité, mais aussi d’éducation.
Amici italiani, Frédéric Lenoir è un filosofo e sociologo (specializzato in storia delle religioni) che i cugini francesi conoscono bene. I suoi saggi infondono molto ottimismo e, anche se i nostri tempi sono particolarmente duri, Lenoir cerca di indurci a "relativizzare" anche questa pandemia, per quanto possibile ; non nascondendo, peraltro, le mancanze dello Stato francese riguardo l'uso della mascherina. In generale, "Cultura & Salute" condivide idee, preoccupazioni e sensibilità di questo appassionato, moderno e mediatico filosofo, anche se forse alcune costanti del suo pensiero meriterebbero di essere ulteriormente discusse e approfondite. Responsabilità, serenità, ragione, forza del presente, superamento delle "difficoltà"... Questi i contenuti di Frédéric Lenoir del saggio presentato. Temi e contenuti da scoprire quanto quelli, recentissimi, elaborati insieme all'ex-ministro dell'Ecologia Nicolas Hulot (presentazione attraverso il nostro ultimo link a fine pagina), ancor più attenti ai risvolti della politica, e dedicati in particolar modo al nostro ambiente e alla crisi ecologica.
- Clic pour une lecture des premières pages... /per leggere le prime pagine, se per voi il francese non è un problema :)
- Extraits :
« La question que je souhaite aborder dans ce petit ouvrage est : comment vivre le mieux possible en temps de crise ? (...)
Un de mes meilleurs amis travaille comme médecin dans des EHPAD. Il m'a raconté la souffrance terrible de nombreuses personnes déboussolées par ces changements brutaux de leurs habitudes et par une trop grande solitude. D'ailleurs, une dame de 90 ans lui a confié préférer prendre le risque d'être contaminée par le virus, quitte à en mourir, plutôt que de rester plus longtemps sans voir ses enfants et petits-enfants. Cette interminable absence de ses proches l'a rendue profondément triste. Si, à l'avenir, nous sommes conduits à revivre une telle période, il faudra certainement faire preuve de davantage de souplesse et d'ingéniosité dans les EHPAD pour parvenir à mieux concilier la nécessaire protection des humains et le tout aussi indispensable besoin de contacts de nos anciens. (...)
Comme je l'ai déjà longuement expliqué en 2012 dans mon ouvrage "La Guérison du monde", la crise contemporaine est systémique : toutes les crises que nous vivons dans notre monde globalisé - économique, sanitaire, écologique, migratoire, sociale, etc. - sont reliées entre elles par une même logique consumériste et de maximation des profits, dans le contexte d'une mondialisation dérégulée. La pression exercée sur la planète et sur les sociétés humaines est intenable à long terme. Si nous cherchons à repartir "comme avant", nous irons de crise économique en crise économique, de crise écologique en crise écologique, de crise sociale en crise sociale, et de crise sanitaire en crise sanitaire. La vraie solution consiste à changer de logique, à sortir de la frénésie consumériste, à relocaliser des pans entiers des activités économiques, à "réguler la finance", à passer du "toujours plus" au mieux être, de la compétition à la collaboration.
Ces grandes questions, capitales pour l'avenir de l'humanité et de la planète, font l'objet d'un autre livre auquel je travaille depuis plus d'un an avec Nicolas Hulot ».
- Et à ce propos : clic pour la présentation de cette autre publication très actuelle, co-écrite avec Nicolas Hulot, ex-ministre de l'Écologie, où il est question de recherches pour un meilleur avenir... à travers des sujets tels que la politique et la transition écologique.
J'AI DÉCIDÉ DE NE PAS ÊTRE MÈRE - Chloé Chaudet
DÉCIDER DE NE PAS AVOIR D'ENFANT :
UN CHOIX D'ACTUALITÉ
Nous n'avons pas encore lu cet essai de Chloé Chaudet... à paraître sous peu (au moment où nous écrivons) : le 15 avril, aux éditions Iconoclaste. C'est aussi "Nice-Matin", notre quotidien local, qui signale avec goût et clarté la sortie de "J'ai décidé de ne pas être mère", en choisissant néanmoins de ne pas vraiment faire référence, auprès de l'auteure, aux raisons - ou à l'une des raisons - motivant, dans ces pages, ce titre-choix rationnel et anticonformiste. Avant d'adresser à Chloé Chaudet un décidé et souriant « ok, ça ne regarde que vous », notre journal assure vouloir comprendre le point de vue de l'auteure, cette femme qui, à 36 ans, « mène une brillante carrière (de maître de conférences), et file le parfait amour avec son compagnon ». Et qui, malgré cela, n'envisage aucune procréation quelconque. De commun accord avec son compagnon. Accord qui a émergé comme une évidence...
Pourquoi donc cette envie de comprendre, par delà ces éléments de stabilité ? Parce que le point de vue exposé dans l'ouvrage est « assez facile » et « très bien expliqué, avec forces exemples et références, y compris tirés de la littérature et de l'histoire récente ». Et ceci nous donne d'autant plus envie de lire l'essai, même s'il paraît clair que, consensus quasi absolu autour des naissances à part, histoire récente et surtout littérature ne peuvent être les motivations premières d'un choix qui ose regarder le tragique d'une actualité "plus que présente".
Affronter le présent à tout âge, y compris en sachant encore et toujours rechercher, identifier et apprécier (ainsi que partager) ce qui, de près ou de loin, renferme encore des étincelles de beauté (voire plus) : cela reste une chose louable et même indispensable pour contrer la noirceur du monde et son évolution qui, hélas, ne tend ni vers le gris ni vers le noir et blanc. Envisager de donner la vie à un être qui n'a aucune idée du monde est encore autre chose, aujourd'hui plus que jamais. Même au sein d'un couple solide... familles aisées à part (et encore). Car un couple n'est pas une sociéte. Et qu'une société est indissociable de toutes ses problématiques, à commencer par le travail che non c'è, au sens de qui "n'existe(ra) pas"(oui, comme le titre de la chanson de Bennato de notre quatrième balade musicale, sauf que, dans ce cas là, non c'è pouvait accompagner une projection d'ensemble à l'issue positive...). Emploi qui, curieusement, fait rarement (jamais ?) partie de ces beaux débats sur le sujet "devenir mère/renoncer". L'aviez-vous remarqué ? Comme si les enfants devaient rester petits, en restant absolument "nôtres", en milieu protégé. Comme si la question sous entendait de soumettre à sa propre volonté de parent potentiel l'existence présupposée, puis l'avenir, d'un enfant qui, inévitablement, finira par grandir et tenter de conquérir une vraie autonomie. Une indépendance qui, "complexité" du contexte oblige, et parfois face à l'arbitraire, pourra ne plus reposerer uniquement sur ses efforts et/ou ses mérites.
Le fait est que l'attirance instinctive et inconditionnée pour l'idée de procréation supporte mal interrogations, étonnements ou perplexités, quel que soit le degré de salubrité dans lequel nous évoluons. Sans doute, celle-ci résulte d'un discours officiellement admis qui, non sans quelque raison, déplore la hausse de la dénatalité dans une Europe et une France vieillissante... jusqu'à en tirer la sonnette d'alarme. Ceci étant, peut-on faire des enfants seulement pour... faire des enfants ? Ou même parce que les pays, nos chiffres, notre croissance surtout, l'exigent ? L'Histoire rappelle toujours, lorsqu'on n'oublie pas de regarder "un peu" en arrière, toute la stratégie des régimes totalitaires en faveur d'une population importante. Et surtout disponible, à embrigader à loisir et l'air de rien, bien au delà des "simples" (et tout aussi indispensables) rendez-vous aux urnes. Certes, nous n'en sommes pas là, mais y songer peut être utile.
D'un autre côté, soyons francs et complets : ces considérations n'empêchent nullement - et c'est sans doute le cas aussi pour Chloé Chaudet - un respect plein et entier, voire une souriante empathie - vers ceux qui choisissent (après mûre réflexion...) d'avoir des enfants "quand même", ou "malgré tout". Surtout s'ils ne possèdent pas déjà quatre enfants pour "x raisons" (on en sourit un peu...), et s'ils font preuve d'une vraie conscience vis-à-vis de ce qui nous entoure. Et encore si, ayant bien pesé leur "l'un dans l'autre" et leur "pour ou contre", ils se sentent prêts à accompagner et soutenir, le plus longtemps possible, ces "enfants" qui désormais, devront faire face, globalement, à enseignements et formations de moins en moins structurés et approfondis (on aimerait bien se tromper sur ce point !). Enfants qui, un jour, devront "s'accomoder" d'une situation professionnelle précaire, dans un domaine peut-être non souhaité et qui, petites retraites à part, peuvent se retrouver à tout moment sans travail (euh, sans emploi, enfin, sans les deux...).
Parfois du jour au lendemain, par simple sms (car c'est plus informel, plus rapide surtout, et moins traumatisant !). Voilà le joli tableau pour nos jeunes et futurs adultes (crises et scandales en tout genre à part, et un peu de belles choses à part aussi, quand même...). À moins que, d'ici là, certaines mesures qui s'imposent soient prises pour limiter les dégâts, bien sûr. Mais pour le moment, on le sait : pandémie oblige (près de 3 millions de décès dans le monde au 12 avril), on a d'autres vaccins à fouetter, pendant que certains perdent, justement et "tranquillement" emploi et travail... S.O.S. (!!).
Pour résumer, comment ne pas être sérieusement contents pour tous ceux qui, un peu en guise de réponse face à ce monde souvent injuste et violent, choisissent paradoxalement, encore et toujours, d'avoir des enfants ? S'entourer de leur présence et de leurs questions. De leur innocence et de leur enthousiasme. Avoir le plaisir de leur transmettre de quoi "s'équiper", avancer et se protéger dans la vie. Sans (trop) craindre pour eux, dans les différents moments de leur vie... Bref, une vraie mission, "quelques petits" soucis et beaucoup de bonheur.
Face aux pro-bébés, il y a donc la minorité que représente ce livre (« on estime à 4,5% le nombre de femmes de 18 à 79 ans - [étrange, ce "79 ans !", enfin, mettez au passé dans ce cas] - qui ne veulent pas être mères ») qui n'a rien contre les bébés en soi, bien au contraire (comment pourrait-on ?), et qui devrait pouvoir inclure, d'ailleurs, le nombre de compagnons rangés à la même idée (renoncement à la parentalité)... Pour cette minorité, il n'y a pas vraiment de compréhension, même lorsqu'on est prêts à admettre les petits et (très) grands travers de ce monde. Peut-être est-ce à cause de la peur éventuelle, face aux non-parents, de devoir se poser plus ou moins fort la question : comment ai-je pu mettre au monde mon/mes enfant/s ?... Mais normalement, en tant que parents, la question ne se pose pas ! Donc évitons la facilité vis-à-vis des minorités, avant de juger. Qui dit minorité ne dit pas nécessairement mauvais positionnement.
Chacun ses choix au moment où l'on peut encore choisir (et que "tout soit béni" après, surtout si l'on s'en occupe/si l'on peut toujours s'en occuper, pour ainsi dire). À propos de ces jugements, et même de ces réactions contre ces réfractaires qui assument et résistent : au fil des pages Chloé Chaudet raconte « les incessants questionnements émanant de proches mais aussi de parfaits inconnus ». Qui, précise-t-elle quelques lignes plus loin, peuvent également poser des « questions très personnelles, qui reviennent régulièrement »...
On comprend donc que l'auteure ait choisi une fois pour toutes de rassembler impressions, réflexions et réponses autour de ce sujet encore tabou ou, comme on l'a vu, faisant l'objet de faux débats, sans antithèse. Elle résume puis conclut : « Le regard de la société est encore pesant sur les femmes qui ne souhaitent pas devenir mère. Nous sommes presque dans une forme d'anormalité. En rédigeant cet essai, j'ai l'impression d'aider les jeunes femmes que je côtoie en tant qu'universitaire à expliquer leur choix. J'ai eu beaucoup de retours positifs. Ce qui me réjouit, c'est que cet ouvrage permet d'engager la discussion ». Discussion, respect réciproque et réflexion. Pour réaliser encore davantage que faire des enfants est peut-être l'initiative la plus personnelle (privée et même intime) qui soit... mais aussi la plus publique et politique qui puisse exister, en un sens...
Une responsabilité pour soi-même, pour sa famille, et surtout pour la société. Un pari vital autant que risqué, auquel certains renoncent, parfois vraiment à contre-cœur, faisant primer aujourd'hui une rationalité induite par le contexte et donc aussi par un degré de confiance vers l'avenir insuffisant. En somme, le courage de devenir parents équivaut au courage d'y renoncer, surtout si en théorie c'était dans nos projets. Nous voulons bien des enfants - et des adultes ! - "heureux" (ou plus heureux que nous) sur une planète qui résiste, où violence, conflits et injustices reculent ?! À nous donc de choisir selon âme et conscience... et d'être, quoi qu'il arrive, aux côtés de ces grands "enfants" venus au monde il y a quelques bonnes années. Qui ne sont peut-être pas nos enfants mais qui, au milieu de cette réalité difficile, ont bien besoin, parfois, d'un regard extérieur et d'un petit coup de pouce complémentaire :)
À côté des vrais bébés, il y a ceux qui ne craignent pas l'avenir,
et puisent leur sommeil dans la couleur...
Nos classiques : LES FABLES - Jean de La Fontaine
PILULES DE SAGESSE...
Voilà une œuvre charmante et agréable, que l'on a plaisir à retrouver, et à redécouvrir, à tout âge. De même, voici un auteur, Jean de La Fontaine, qui nous a toujours intéressés, autant que ses fables et sages métaphores animales. La Fontaine : un nom déjà poétique pour un homme courtois sans être vraiment un homme de cour au sens strict, tant il aimait se sentir libre. Et qui, malgré son indéniable art d'écrire et de puiser son inspiration chez nos poètes anciens (Ésope surtout, le père de la fable, Phèdre, Abstémius, Pilpay), tout en parvenant à un résultat aussi élégant que personnel, connaît une fin de vie qui n'est pas du tout à la hauteur de ses mérites.
En effet, La Fontaine, - et ceci ne peut qu'intéresser autant que la portée de ses "fables pour tous" - risque de perdre tout son crédit auprès de Louis XIV, et même d'être condamné à son tour "par ricochet", lorsque son mécène et protecteur riche et cultivé, le surintendant des finances Nicolas Fouquet, est subitement jeté en prison par le roi, exerçant ses pleins pouvoirs... ou plutôt ses pouvoirs pleinement arbitraires (ou "quasi arbitraires" si Fouquet était réellement concerné par de corruption ; en tout cas, on sait ce que pouvait signifier une lettre close pendant l'Ancien Régime, et jusqu'à sa sacro-sainte abolition...)1. L'auteur des fables, aussi consterné que courageux, devra alors composer avec un certain Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des finances (etc. etc. !), à la "personnalité" très différente (indiquons "seulement" que Colbert et fils seront impliqués dans la rédaction au code noir - art.38 surtout - cf. lien "France Info", pour notre synthèse sur l'esclavage). Pour La Fontaine, il s'agissait surtout de garder quelque espoir de rentrer à l'Académie française... Vous aurez peut-être envie d'approfondir la biographie de notre auteur du siècle d'or, ou son vécu si paticulier, via nos liens et, bien sûr, au delà.
Dans le cadre de cet espace "Livres", et de ces pages ponctuellement plus classiques, on se penchera donc sur ses célèbres fables qui, si elles n'ont peut-être pas toutes la même efficacité aujourd'hui, ont un mérite bien "classique" : celui de fournir sans exceptions quelques clés fondamentales pour mieux comprendre l'univers complexe et pas toujours vertueux de nous autres hommes, grâce à la sagesse particulière, la ruse ou la sottise de ces bêtes si familières, aux relations très signifiantes. Surtout, la "leçon animalière" passe volontiers à travers une certaine ironie, une condamnation ou une amère critique, aboutissant à la morale finale, parfois perceptible dès la mise en situation introductive ou le constat, comme dans "Le loup et l'agneau" : « la raison du plus fort est toujours la meilleure... ». Loin d'être une raison, la force ne serait qu'une cause... mais souvent la cause est rationnelle, alors que cette fable - même sans jugement explicite - démontre "par a plus b" que cette "solution de facilité", transposée aux êtres humains, n'est qu'un colossal abus face à l'innocence, au droit, et à l'effort d'exposer de vrais arguments. [Dans notre philo-lien précédent, il est aussi question de Machiavel, et de sa vision parfois très "particulière" des relations politiques et au delà (nature humaine)... Mais ses théories sont à historiciser fortement : nous pourrons nous arrêter un peu à son sujet ultérieurement].
Pour revenir à notre présentation générale, ces fables correspondent à des mises en scènes littéraires (et en quelque sorte théâtrales), toujours plaisantes formellement (parfois d'emblée plus graves dans leur contenu). Elles sont plus ou moins brèves, contées avec goût et précision (où l'on entend presque la voix musicale du narrateur) ; de petits récits vivants grâce à leurs formules heureuses, tour à tour recherchées et familières. Un cadre formel qui donne envie de comprendre - si ce n'est de mémoriser des vers comme ceux que nous connaissons tous - et de reprendre en main ces fables. Qui, depuis les temps anciens, restent actuelles (si, hélas, on se réfère aux travers de la nature humaine, que l'on parvient aussi, parfois, à corriger...). Pour notre site franco-italien (sachant que notre auteur est aussi beaucoup apprécié en Italie, où sa popularité va bien au delà de son inspiration à Boccace pour ses "Contes"), nous avons voulu sélectionner quelques unes de ces fables qui, avec intelligence et précaution, peuvent être comprises aussi en lien avec des saynètes contemporaines. D'ailleurs, si cela peut vous concerner, si cela vous tente ou vous tentera lors de "situations éducatives" plus stables et sûres, clic pour une idée didactique junior qui s'annonce intéressante ;)
Mais avant d'en venir à nos "fables choisies", ajoutons que, naturellement, les dialogues "de" ou "repris par" Jean de la Fontaine (cf. sources indiquées) enrichissent le genre ancien de la "fable" pour leurs personnages, réels mais aussi "merveilleux" ou "fantastiques" au sens large (par leurs multiples voix et "caractères", il s'agit de protagonistes simples, traditionnels, peut-être presque déjà "en 3D"...) ; pour leur "format" court, même si les fables plus longues ne manquent pas ; pour la mise en vers poétique qui les caractérise ; ainsi que pour leur morale déclarée ("assumée", dirait-on aujourd'hui, même s'il y aurait beaucoup à préciser sur l'emploi de ce mot très contemporain, ainsi que sur les notions de morale et d'éthique de nos jours... d'où, justement, toute l'actualité des fables).
Concrètement, nous sommes partis à la recherche de fables peut-être moins connues mais tout aussi intéressantes. Plutôt brèves, les fables mises en avant par "Culture & Santé" (si elles ne vous sont pas déjà familières) vous plairont autant que nous les avons aimées (c'est en tout cas ce qu'on espère !).
Ci-après, nous pourrions en indiquer les titres, sur lesquels cliquer selon inspiration (exactement : en écho à notre balade poétique...), mais cette petite "balade littéraire", cet aperçu que nous avons pris soin d'illustrer, en direction de "l'inconnu du connu", ou en faveur du "moins connu" - au delà du proverbial "Le Corbeau et le Renard" (comme de l'inoubliable "La Cigale et la Fourmi - se goûte au fil de nos pages, en cliquant sur l'illustration finale, qui fait suite à notre maxi note (où d'autres poésies, subtilement politiques, sont indiquées) et précède nos indications complémentaires...
1. Ce que l'on lit facilement sur le web : Colbert accuse Nicolas Fouquet de détournement d'argent public et celui-ci est arrêté le 5 septembre 1661. Il est jugé pour malversations et crime de lèse-majesté (on le soupçonne d'avoir corrompu des gouverneurs de places fortes et des officiers royaux pour fomenter un plan de rébellion contre le roi). C'est ce que vous trouverez immédiatement sur le web... Ce que nous dit, par exemple, le Bescherelle Hatier : « en 1661, Fouquet est arrêté, accusé par le roi de corruption, juste au moment où les travaux de son magnifique château viennent de s'achever. Pour la Fontaine, c'est une tragédie, symbole de l'arbitraire du pouvoir. De cette expérience il garde une certaine méfiance à l'égard de l'absolutisme et la nostalgie d'une monarchie plus équilibrée ».
Et ce qu'on peut lire dans "L'affable La Fontaine" (Éduscol) :
Du jour au lendemain, Fouquet est arrêté, emprisonné, sa famille est bannie et tous ses biens sont confisqués. La Fontaine fait preuve de courage. En effet, en 1662, il fait imprimer une élégie intitulée "Aux nymphes de Vaux" – le château de Vaux était celui de Fouquet, fort luxueux, antérieur au château de Versailles – dédié à Nicolas Fouquet, et demandant la clémence du roi. Le poète, qu'on perçoit nonchalant, rêveur, un peu trop détaché des responsabilités du siècle fait alors preuve d'une fidélité et d'un courage qui peuvent nous inciter à lire certaines fables d'un autre œil. En effet, sous la fantaisie apparente de ces textes amusants, on trouve souvent des allusions directes aux affaires de l'État. Exemples de fables à la "moralité cachée" et allant dans ce sens : "La grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf" "Les deux taureaux et une grenouille", "Le pot de terre et le pot de fer", "Les deux mulets", "Le lion et le moucheron" ».
Pour revenir au sort de Fouquet, pour ceux qui, comme nous, aimeraient si possible, plus de clarté, on peut consulter cette page, en particulier son introduction, le fichier sonore, et le paragraphe intitulé "L'orchestration de la chute de Fouquet".
Parmi nos "favoris", "Le Renard et la Cigogne" (lien "++", didactique)
ainsi que... cliquez sur nos deux protagonistes !
Encore pour vous : une biographie particulièrement intéressante nous vient de histoire-pour-tous.fr, y compris pour son paragraphe consacré à "La fin de vie de Jean de La Fontaine", ainsi que pour sa bibliographie. En fait, il apparaît bien comme un site précieux à explorer sans modération pour s'immerger dans « l'Histoire universelle », « de France et du monde » !
Per i nostri amici italiani... abbiamo scoperto questo blog (e questa pagina). Perfetti per voi se siete molto interessati alle favole o "poesie in rima" di La Fontaine, alle traduzioni proposte... e magari anche nel caso in cui, sulla scia di questo autore, voleste - eventualmente! - migliorare il vostro francese in vari campi :)
Autre point : nous avons abordé cette œuvre classico-actuelle spontanément, sans songer à aucun événement particulier, mais... cela tombe à point :
- comme vous le savez, en cette année 2021 l'on fête le quadricentenaire de la naissance de notre auteur (cf. lien : initiatives et appels à projets institutionnels en cours). Et, chose très importante (!), on ne savait pas que même Dorothée, bien avant d'en arriver à ce" vertigineux anniversaire", s'était penchée sur "Monsieur de La Fontaine". Grosse lacune ?!... On le sait désormais. Pour les enfants, pas mal du tout les paroles de ce morceau, pour rendre le côté espiègle de moult fables :)
- c'est en raison de cet anniversaire, naturellement, que nombre de supports presse (et hors-série) se mobilisent en offrant leurs exhaustifs et illustrés "dossiers La Fontaine" (nous avons fait de notre mieux, avec notre "synthèse approfondie") ; et c'est aussi la raison pour laquelle France 3, et précisément "Secrets d'Histoire", avec Stéphane Bern (déjà "invité" de nos pages, au sujet de Raphaël), vous propose, ce lundi 17 mai à 21.05 une émission spéciale consacré au célèbre fabuliste... avec lecture des fables par Fabrice Luchini. Oui, en écho à ses lectures "sur réseau" pendant notre premier confinement. [En attendant, on peut choisir de (re)voir ce qu'a proposé un certain Laurent Gerra en la matière].
Selon périodes de lecture, donc, à vos écrans, rediffusions ou replay France 3. "Au fil de votre intérêt", histoire littéraire et Histoire tout court n'auront plus (auront beaucoup moins !) de secrets pour vous...