La notion de complicité avec les élèves est à juste titre signalée comme fondamentale. Mais, certes un peu paradoxalement (un peu comme dans d'autres "métiers sérieux"), celle-ci ne peut exister sans un minimum d'autorité (et un peu de distance). Et pour cela, le nombre d'élèves par classe (et d'âge critique en collège surtout) reste vraiment excessif. À aucun moment dans le film – il nous semble ! - il n'est question de classes surchargées. En sus de cette question irrésolue (qui s'ajoute aujourd'hui à une forte pénurie de profs bien compréhensible), un professeur rencontre en général nombre d'obstacles d'ordre différents mais "complémentaires" : pour le dire ainsi, il est "pris en sandwich" entre des élèves qui vont jusqu'à l'insulte (et qui peuvent très bien en venir aux mains au vu de l'impunité dont ils jouissent généralement au sommet...), des parents qui les appuient et défendent presque systématiquement (pauvres élèves/enfants fragiles !). Des parents qui à leur tour peuvent devenir très menaçants (mais on ne se réfère pas à tous les parents !!) ; on disait que le professeurs sont pris en sandwich entre les élèves, doublés de leurs parents, et la hiérarchie dont "le réflexe" est de se retourner contre eux, quoi qu'il en soit. Surtout dans les établissements du privé sous contrat (entendez : un enseignement catholique au grand cœur) qui protègent tous leurs élèves-clients. Mais le secteur public n'est guère épargné vu que, de manière ominprésente aujourd'hui, c'est le modèle marchand qui prédomine.
Quant à la solidarité, à cette belle camaraderie entre les profs, montrée à l'écran, elle peut bien sûr exister, y compris face à la hiérarchie (voilà pourquoi et hors film... même pas de salle des profs dans certains établissements !!). Face à une hiérarchie et à un rectorat totalement sourds (cf. épisode(s) de harcèlement qui fait la une dans l'actualité... le harcèlement pouvant concerner des élèves entre eux, comme certains profs "bien visés", et se traduire par tout ce qu'on n'ose pas même imaginer !)... On reprend. Face à tant d'indifférence tragiquement habituelle, de la part de ceux qui devraient simplement écouter et soutenir, le corps enseignant peut vite se désagréger car il y aura toujours ceux qui ne se poseront jamais contre leurs "supérieurs", pour des problèmes "individuels" qui sont en réalité très collectifs. Car les victimes changent ou se multiplient... Mais on peut toujours espérer que les exceptions à ce militarisme existent ! Ce qui ne doit pas empêcher d'agir pour que tout cela cesse, au nom d'un bon enseignement, et au nom de l'avenir...
Ceci dit et souligné, beaucoup de scènes de "Un métier sérieux" restent à l'esprit, par leur intensité, leur délicatesse ou tendresse. Une scène que l'on a d'emblée reconnue comme vraie est celle de l'inspection (qui se situe un peu dans la même lignée que la question du concours, dont malheureusement on ne parle pas). Les meilleurs enseignants, ceux qui intéressent leurs élèves de manière évidente et palpable, dans une ambiance de travail et d'échanges fructueux (malgré tous les "écueils techniques") avec, en sus, une bonne dose de poésie (une rose pour chaque apprenant), ne sont pas encouragés, bien au contraire. Et la moindre des choses, au vu de la précise répétitivité de certains grands jugements, est de "se demander" si ces propos sont formulés selon intentions précises et particulières.
À bien y penser, nous avons tout aussi bien adhéré à la scène où la professeure (soyons modernes par la nouvelle orthographe) de biologie est tellement prise par son travail (qui ose dire encore que c'est le métier des "vacances" ? Ce sont des pauses biologiquement – c'est le cas de le dire ! - mentalement et physiquement nécessaires)... ; tellement prise par son travail, on disait (on aurait pu la montrer corrigeant ses innombrables copies mais aussi préparant ses cours à la maison, ce qu'on voit pour ses collègues, donc ok...) qu'elle ne peut pas s'occuper comme elle le voudrait de son fils, qui prend la mauvaise pente... Le paradoxe, dramatique, est alors de devoir s'occuper de manière au maximimum personnalisée (selon directives et même dans des classes de 35 à 40 élèves, et de 35 à 40 copies aussi...) de classes "imposantes" (et forcément indisciplinées). En sacrifiant ainsi l'éducation de son propre enfant.
Bref, le tableau est en réalité encore plus noir. Mais, redisons-le, "Un métier sérieux" est un film réussi, et dont un même metteur en scène, Thomas Lilti, permet de faire le lien avec la profession des soignants. Deux contextes, deux systèmes au même titre victimes du système...
Un système qui nous écrase et dont les conséquences "hors les murs" sont terribles pour le présent et pour l'avenir de notre société, déjà amplement désagrégée. Faut-il le rappeler encore, avec "Culture & Santé" ? Bien au delà (et parfois en deça !) du concept et des techniques dites "d'innovation", les fondamentaux (et plus !) de deux domaines publics et humanistes comme la santé et l'éducation devraient rester, plus que jamais, au cœur des préoccupations, engagements et actions de tout pays se prétendant civilisé.